Le silence en héritage
Au Monastère des Augustines, nous avons le privilège et la responsabilité de conserver et de mettre en valeur l’héritage matériel, immatériel, social et spirituel des Augustines. Puisque le silence se dépose au Monastère par fines couches depuis plus de 375 ans, nous le reconnaissons comme un héritage paradoxalement immatériel, mais qui se veut tangible. Nous cherchons sans cesse des manières de traduire ce legs et de l’actualiser dans nos modes d’hospitalité, dans nos modalités d’animation et dans notre programmation.
Les Augustines, des adeptes du silence
Jusqu’en 1965, les Augustines vivent semi-cloîtrées. Elles travaillent auprès des malades, mais dans leur vie monastique et communautaire, elles sont en retrait du bruit et des activités du monde séculier.
Pour les Augustines, l’hospitalité et le soin sont toujours entretenus de nos jours par leur vie intérieure. Celle-ci appelle le silence et la contemplation. Leurs règles de vie déterminent ainsi des temps et des lieux qui y sont consacrés. Par exemple, à certains jours ou temps de l’année, lors de leur repas en groupe au réfectoire, des lectures viennent ponctuer le silence.
Une augustine nous a d’ailleurs confié qu’au-delà des règles qui encadrent le silence, elles le vivent comme une expérience intime. Celle-ci n’est pas uniquement l’absence de parole. Porter le silence, dit-elle, ce n’est pas tant pour se taire que pour écouter. Elle parle de silence habité qui favorise une présence à soi, à l’autre et au sacré. Le silence devient ainsi un allié du calme intérieur. Il créé dans le monastère une atmosphère de paix propice au recueillement, à la méditation, à la concentration, de même qu’au repos.
Le silence, un bien commun à préserver
Les Augustines portent le silence sous deux formes : le silence intérieur et celui qu’elles appellent le « silence d’action ». Ce silence d’action est fait de ralentissement, d’attention à ne pas faire de bruit et de murmure, si nécessaire. Une augustine parle de ce silence comme un bien commun à préserver. Dans la foulée des préoccupations écologiques qui traversent notre société, nous pourrions voir dans cette interpellation une dimension politique autant que pour la préservation des espèces animales en voie de disparition!
Faire silence et tenir parole
Celles et ceux qui fréquentent Le Monastère des Augustines témoignent que le lieu lui-même est porteur de silence et de paix. Bien que nous fassions en sorte de préserver l’esprit des lieux, la diversité des services du Monastère, l’accessibilité et la mixité des usages du lieu, ainsi que la variété des besoins de nos visiteurs ne font pas du néo-monastère un endroit totalement silencieux. Pour que le silence ne soit pas vécu comme une contrainte – même si elle était présentée comme vertueuse –, nous proposons plutôt l’expérience du silence intérieur. Nous cherchons ainsi à mettre en place des conditions et des propositions qui favorisent chez nos visiteurs un état de calme, de lenteur propice au silence intérieur, et ce, pour qui le désire, à une exception près. Nous avons l’audace de convier nos invités à un déjeuner en silence. Ce choix rend hommage aux traditions augustiniennes tout en offrant une expérience hors du commun. Les invités sont ainsi amenés à en explorer le sens pour eux-mêmes.
Le silence, un retour aux sources
Alain Corbin, dans son livre Histoire du silence paru en 2016, remonte aux XVIe et XVIIe siècles pour mieux comprendre la portée du silence :
« Le silence était alors une richesse, celle du retour sur soi et de l’introspection. Pour les catholiques, c’était celle de l’oraison et de l’écoute de Dieu. Mais aux XVIIIe et XIXe siècles, avec le triomphe du romantisme et de l’âme sensible, on assiste à un véritable foisonnement de silences. (…) Les silences de la montagne, du désert, de la mer, de la campagne et de l’amour se disent, alors qu’ils ne se disaient guère au XVIIe siècle. »
Un silence de bienveillance au programme
Riches de cette longue histoire perpétuée par les Augustines, nous cherchons donc à réintroduire le silence sans l’absolutiser. Nous souhaitons lui faire une place encore plus significative dans les expériences proposées à nos visiteurs.
Nous observons que le lieu lui-même a son effet sur plusieurs d’entre eux : on y parle moins fort, on claque moins du talon, on se déplace plus calmement. On y consent souvent avec joie à loger dans une chambre dépourvue de télévision et de téléphone dans un décor authentique ou contemporain dépouillé.
Nos activités quotidiennes Mouvement et de ressourcement s’appuient sur le silence pour soutenir une expérience de présence consciente et de tranquillité. Des retraites de quelques jours réservent aussi une place de choix au silence.
Les concerts de silence
Inspirés par la vie fraternelle et spirituelle des Augustines, nous avons conçu pour notre programmation une activité singulière : le concert de silence dédié. Il s’agit d’un événement où des personnes se rassemblent pour produire ensemble du silence. Ce concert ne peut exister que s’il devient un but commun et un bien commun. Le caractère distinctif de ce silence, outre son aspect collectif, est que chacun est invité à dédier son silence à une personne ou à une cause. Cette dédicace fait que le silence créé à la fois individuellement, collectivement mais aussi fraternellement, gagne en profondeur. Cette expérience de silence éphémère mais collective – un silence qui prend soin de soi et de l’autre –, nous invite à faire nôtre l’héritage des Augustines.
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Depuis 2019, l’équipe du Monastère porte une attention particulière au silence comme matière première, ou complémentaire, dans notre programmation d’activités. Nous cherchons comment traduire et actualiser de façon singulière mais universelle le legs de silence des Augustines, et ce, de façon contemporaine et créative. Tenir parole et faire silence ensemble.
Claudine Papin
Conseillère en patrimoine social