Le charisme hospitalier et la charité chez les Augustines
Lorsqu’on visite pour la première fois le Musée du Monastère – en visite autonome ou commentée – un constat bien particulier s’impose généralement à nous : les hospitalières ont œuvré auprès des malades avec bienveillance et générosité. Pour mieux comprendre ces attitudes qui caractérisent bien les Augustines, il faut se tourner vers le charisme hospitalier de la communauté. Plus spécifiquement, vers la notion de charité, d’où émane cette forme d’altruisme. Voyons d’abord la conception du malade qu’ont encore aujourd’hui les Augustines de la Miséricorde de Jésus, pour ensuite tenter de cerner la notion de charité comme telle.
« Elles servent Jésus-Christ en la personne du malade »
Dans l’édition de 1923 des Constitutions de la communauté (c’est-à-dire le livre de règles), on peut lire que le malade, appelé autrefois « pauvre[1] » ou « pauvre malade », possède en soi, d’une certaine façon, une part divine. Dans le quatrième traité de l’ouvrage, on compte six considérations pour animer les religieuses au service des pauvres malades. La première débute comme suit :
La première [considération] est, qu’elles servent Jésus-Christ en la personne des pauvres malades. C’est pourquoi la maison où elles rendent ces bons offices de charité s’appelle : Hôtel-Dieu. Jésus-Christ lui-même reçoit tous ces services comme faits à sa propre personne, ainsi qu’il l’a témoigné par ces paroles : Ce que vous avez fait à l’un de ces moindres, vous me l’avez fait; et à un autre endroit : J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger. Avec quelle affection servirait-on Jésus-Christ s’il retournait sur Terre? […]. (p.100)
La question qui termine cet extrait résume à elle seule l’attitude d’accueil et de respect qui caractérise bien les religieuses. En effet, puisqu’elles soignent le Christ par le biais du malade, le fait de ne pas respecter ou de ne pas accueillir correctement ce dernier porte atteinte au Seigneur lui-même. Pour des chrétiens, cela apparaît sans doute comme une bonne raison d’adopter une attitude d’ouverture et d’écoute.
La deuxième considération du quatrième traité des Constitutions nous permet de pousser plus loin la réflexion. Le soin des malades va alors au-delà d’une simple question de corporalité ou de divinité :
La seconde [considération], le service que nous rendons aux pauvres pour la santé du corps regarde le salut de l’âme; car, c’est pour les pouvoir plus saintement aider à supporter chrétiennement la maladie, et passer plus heureusement de ce monde quand il plaira à Dieu [d’]en disposer, pour que nous les recevons en notre maison : si bien qu’à proprement parler, notre office est de recueillir les gouttes du précieux Sang de Jésus-Christ et de les appliquer, par nos petits travaux, pour le salut des âmes pour lequel il a été répandu. (p. 101)
Ainsi, on comprend que toute l’attention donnée au malade poursuit évidemment un but corporel, mais aussi, et surtout, spirituel. On vise à sauver l’âme des individus accablés de maladie. Pour ce faire, il faut dispenser un soin matériel et un soin spirituel. On parlera alors d’une intention hospitalière qui s’inscrit dans une perspective sotériologique, c’est-à-dire dans une théologie du salut. C’est d’ailleurs dans cette dernière que prend tout le sens de la charité.
La charité et « l’amour du prochain »
La notion de bienveillance, voire de respect envers le malade, est une attitude, une façon d’être. Celle-ci émane notamment du concept de la charité. Chez saint Augustin, la charité s’explique sous plusieurs angles.
Tout d’abord, la charité doit être vue comme un amour de Dieu. Dans une perspective chrétienne, il s’agit d’un amour ordonné. La volonté humaine doit tendre naturellement vers un amour de Dieu. Cet amour ne peut être que bon (il existe tout de même un amour mauvais, celui orienté que pour soi). Selon l’évêque d’Hippone, l’amour qui mène à aimer autrui oriente l’âme vers l’éternité. La charité permet cette attitude à aller plus loin qu’un amour de soi. L’âme doit s’oublier soi-même, en aimant le monde, sans toutefois s’oublier soi-même. Cela est possible avec l’amour de Dieu. Dans le livre Le vocabulaire de saint Augustin, Christian Nadeau dira ceci :
« L’amour d’autrui ou « amour du prochain » (dilectio proximi) qu’est la charité implique alors au moins deux choses : un amour d’autrui en tant qu’il se rapporte à Dieu – ce que nous aimons dans l’autre, c’est qu’il aime Dieu tout comme nous – ou inversement un amour de ceux qui nous aiment en tant que nous sommes leur intermédiaire vers Dieu. » (p. 26)
Dès lors, il y a un jeu relationnel entre les individus et le Dieu de la religion chrétienne. Amour propre et amour de Dieu sont d’ailleurs conciliables, seulement si le premier est orienté non pas pour l’être qui existe tel qu’il est actuellement, mais plutôt pour l’être à venir. Christian Nadeau dira à ce sujet que « [l]’amour propre est ainsi redéfini en un désir pour l’éternité : celui que nous aimons, c’est l’âme éternelle à laquelle nous aspirons » (ibid.). Ainsi, le soin, tel que prodigué par les Augustines, représente à la fois une action bonne pour l’âme du malade, mais aussi pour celle de la religieuse, et ce, toujours dans une perspective du temps à venir.
Cette volonté d’aimer Dieu à travers le pauvre peut aussi mener, toujours chez saint Augustin, vers un état de béatitude. Comme le résume bien Christian Nadeau : « Par la charité, l’homme s’approche ainsi de l’éternité, jusqu’à ce que son amour soit effectivement une béatitude, une jouissance parfaite de Dieu » (p. 27). Dans cette conception du monde, mais aussi cette ontologie augustinienne de l’humain, il semble que le respect aille de soi. La charité motive une telle attitude.
Un héritage aujourd’hui laïc
Aujourd’hui, Le Monastère des Augustines est un organisme sans but lucratif. Il est géré par des laïcs et est ouvert à tous et à toutes. Bien que les services soient offerts dans un esprit non confessionnel, ils s’inscrivent dans une attitude d’ouverture sur l’Autre, sur la diversité. On accueille nos invités dans une attitude de bienveillance et dans le respect de son prochain, à l’image des Augustines. Un bel héritage dont nous sommes fiers de transmettre aux visiteurs de tout horizon.
[1] Vers la fin du Moyen Âge, on associe principalement les soins dispensés en hôpitaux à la pauvreté. Les riches étaient suffisamment fortunés pour se payer des soins à domicile. Ainsi, le terme « pauvre » désignait surtout les nécessiteux qui se rendaient dans les hôpitaux pour y être soignés. Il semble avoir été utilisé ensuite plus largement pour désigner les malades admis.
Hugues St-Pierre
Pour aller plus loin :
Christian Nadeau, Le vocabulaire de saint Augustin, Paris, Éditions Ellipses, p. 25-27.