Accueillir la vie
Les femmes accouchent depuis la nuit des temps et si une naissance est toujours un grand événement, il n’a pas toujours été possible de donner la vie dans des conditions favorables. Sœur Carmelle Bisson se souvient avec émotion de son travail en obstétrique.
La communauté des Augustines a pris soin des malades durant plus de trois siècles au Québec. Saviez-vous qu’on appelait «sœurs de chœur» les Augustines qui se consacraient au métier d’infirmière? C’est cette profession que Sœur Carmelle Bisson a pratiquée pendant une vingtaine d’années.
Portrait de sœur Carmelle Bisson, 1982, Fonds du monastère de l’Hôtel-Dieu de Roberval.
Après des études au Cégep de Sainte-Foy, puis à l’Université Laval en sciences de la santé, la jeune religieuse part travailler dans divers hôpitaux, dont celui de Roberval, où elle sera d’abord infirmière de chevet, puis responsable d’unité en obstétrique quelques années plus tard.
«Il y a un domaine qui m’a profondément marquée, c’est celui de la maternité et du bloc obstétrical», raconte-t-elle. Elle est rapidement confrontée à une vision de la maternité aseptisée.
«Quand je suis arrivée, il y avait à peu près 80% des mamans qui donnaient naissance sous anesthésie générale. Et moi, je ne pouvais pas concevoir que ça se passe comme ça parce qu’accueillir la vie sous anesthésie générale… Premièrement, je n’avais pas été formée comme ça et je trouvais ça difficile de voir que le père était laissé à l’écart et que la maman accouchait sans être consciente de ce qui se passait.»
En effet, lorsqu’elle arrive à Roberval, la jeune femme vient tout juste de terminer plusieurs stages à l’Hôpital Saint-François d’Assise, alors reconnu pour la qualité et la modernité de ses soins en obstétrique. On est dans les années 70.
«Je suis devenue infirmière durant cette période où les femmes revendiquaient l’accouchement naturel, l’allaitement et les cours prénataux. Je concevais mal, avec la formation que j’avais reçue, que dans mon milieu, en région, on anesthésiait encore systématiquement les femmes.»
Trouver une solution
Sensible à la beauté de la naissance, elle s’attriste de voir les mères et les pères privés de ce moment unique. En bonne Augustine, elle cherche donc une solution, qu’elle trouve avec son équipe. Elle propose alors un projet de refonte des pratiques à l’hôpital de Roberval.
«On a présenté un projet afin de renverser cette courbe du 80%, se souvient-elle. On était à l’époque responsables de la santé communautaire. Cela s’est traduit par l’ouverture d’un bloc obstétrical, l’augmentation du nombre d’infirmières, de la formation et la possibilité d’accoucher naturellement.»
Les résultats ne se font pas attendre. «Finalement, après 15 mois, nous nous sommes retrouvées avec 90% des mamans qui accouchaient naturellement, raconte-t-elle avec le sourire. Le père pouvait aussi être présent et même toucher à son enfant, en même temps que la maman qui l’accueillait sur elle.»
Une fois ces changements implantés, l’évolution des façons de procéder s’est faite naturellement. «L’accouchement naturel a conduit à des chambres de naissance, à une période de cohabitation avec le bébé et pas seulement pour la maman», mentionne-t-elle, émue.
Humaniser les soins
«Je ne concevais pas que ces femmes qui portaient la vie de façon consciente puissent accoucher inconscientes, que ce soit des étrangers qui accueillent le bébé», se souvient-elle.
En effet, comment créer un lien d’attachement? Quel est le sens d’un événement aussi unique s’il est vécu sans la présence d’êtres chers? Ce sont aussi ces questions qui ont poussé Sœur Carmelle à faire changer les choses. Pour elle, on se devait d’humaniser les soins.
«Pour moi, prendre soin d’un malade, ça pouvait être tout simplement lui soulever la tête, replacer son oreiller pour qu’il soit confortable, aller lui chercher un verre d’eau fraîche, habiter ces gestes avec beaucoup d’intériorité et d’amour.»
Accoucher en 2024 est bien différent: on fait son plan de naissance, on décore la chambre, on choisit la musique et les gens qui assistent à l’événement. Toutefois, les petits gestes demeurent les plus appréciés.
Ce sont ces petits gestes qu’on retrouve au Monastère des Augustines lorsqu’on y séjourne. D’ailleurs, se préparer à l’accouchement dans une perspective de santé globale peut s’avérer grandement bénéfique! Ainsi, la grossesse peut être une période clé pour prendre soin de sa santé physique, émotionnelle, mentale et spirituelle.
Enfin, s’accorder du repos, que ce soit à la maison, dans un lieu qui nous est cher ou lors d’une retraite, permet de prendre en main sa santé globale. Savoir s’écouter et prendre soin de soi, c’est un élément fondamental pour pouvoir mieux prendre soin des autres. Une valeur chère à Soeur Carmelle, un legs des Augustines.