Une région en croissance: fondation de l’Hôtel-Dieu de Lévis

11 juin 2018

Au tournant des années 1890, les Augustines étaient fortement ancrées sur le territoire de la ville de Québec. L’Hôtel-Dieu du Sacré-Cœur s’était ajouté, en 1873, à l’Hôtel-Dieu de Québec et à l’Hôpital général de Québec. Quelques augustines de l’Hôpital général ont même investi de nouveaux territoires, quand elles sont allées fonder l’Hôtel-Dieu Saint-Vallier de Chicoutimi en 1884, puis celui de Lévis en 1892. La communauté était donc en pleine croissance. Pour mieux comprendre les raisons derrière la fondation de nouveaux hôpitaux par les Augustines, prenons en exemple celui de Lévis.

Une région en croissance

La ville de Lévis vivait une importante croissance à la même époque. L’arrivée du chemin de fer du Grand-Tronc dans le secteur de l’anse Tibbitts, en novembre 1854, a mené à un boom économique sur la Rive-Sud de Québec, quelques années avant que la paroisse Notre-Dame-de-la-Victoire ne devienne la ville de Lévis, en 1861. La voie ferrée y avait entraîné un accroissement de l’activité maritime, au détriment de celle de Québec. D’un point de vue démographique, l’impact de l’activité ferroviaire et maritime se fait aussi sentir, puisqu’en 1861, Lévis était la troisième ville la plus populeuse après Montréal et Québec[1].

Avant la fin du XIXe siècle, Lévis était déjà une ville de services, où se côtoyaient différents commerces et entreprises. La présence grandissante d’industries dans la ville augmentait également le risque d’accidents et de blessures. Face à cette croissance économique et démographique, il fallait donc s’assurer que les besoins en soins de santé puissent être comblés, non seulement dans la population de Lévis, mais aussi pour plus de 20 000 personnes qui habitaient dans les secteurs de Bellechasse, de Montmagny, de l’Islet et de la Beauce[2].

Vue sur Lévis en 1864. Détails d’une photo attribuée à Isaïe Benoit de Livernois.
Collection Archives du Séminaire de Québec

La nécessité d’un hôpital

Il fallait donc qu’un hôpital se joigne à l’offre de services sur le territoire de la ville de Lévis. C’est notamment grâce à l’impulsion de Mgr Antoine Gauvreau que l’Hôtel-Dieu de Lévis est fondé sous le nom d’Hôtel-Dieu-du-Cœur-Agonisant de Jésus. C’est en mars 1887 que Mgr Gauvreau fait la demande aux Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec de traverser le fleuve pour s’occuper d’un hôpital. Tout cela se fait dans le contexte d’une pression importante sur l’Hôtel-Dieu de Québec, qui est débordé par les besoins de la population. C’est aussi un problème pour les gens de la Rive-Sud qui doivent se rendre à Québec pour obtenir des soins, alors qu’il était seulement possible de s’y rendre par un traversier à vapeur (ou par le pont de glace, pendant l’hiver). Le pont de Québec n’allait être complété qu’en 1917, après de nombreuses épreuves et la mort de près de 100 personnes[3]. Nous étions alors bien loin des débats entourant la construction d’un troisième lien!

Malgré ces besoins grandissants, la population lévisienne restait encore à convaincre du bien-fondé d’un hôpital. Les habitants de Lévis trouvaient effectivement qu’il pourrait devenir difficile de supporter les œuvres de charité qui se multipliaient dans la ville, telles que des orphelinats ou des hospices. Mais Mgr Gauvreau a fini par convaincre les plus réticents.

Ce nouvel hôpital devait également profiter du legs de Caroline Lagueux, une habitante de Lévis qui meurt en 1891, mais qui offre, par le biais de son testament, sa maison et un très large terrain, qui servira à établir l’hôpital et le monastère[4].

L’Hôtel-Dieu de Lévis n’aurait jamais vu le jour sans le legs d’une habitante de Lévis, Caroline Lagueux, décédée en 1891. Photo sans auteur.
© Archives du Monastère des Augustines, Fonds de l’Hôtel-Dieu de Lévis.

Les Augustines de l’Hôtel-Dieu de Lévis

Les Augustines arrivent à Lévis le 30 octobre 1892. Six religieuses du monastère de l’Hôtel-Dieu de Québec traversent alors le fleuve : Philomène Lemoine, Henriette Beaulieu, Olympe Chouinard, Léa Lajeunesse, Séraphine Marcotte et Honora Shea. Voici comment un journaliste de Lévis a décrit l’événement :

Quel spectacle émouvant que celui de voir six bonnes sœurs hospitalières qui, ayant fait vœu d’obéissance, quittent leur cloître sur l’ordre de leur supérieure pour aller porter ailleurs, dans une place étrangère encore pour elles, les secours que leur dévouement leur inspire de donner : secours religieux, secours médicaux[5].

Soeur Philomène Lemoine dite de Sainte-Thérèse-de-Jésus était la mère supérieure à Lévis de 1892 à 1898, de 1901 à 1907 et de 1910 à 1913. Elle allait être aux premières loges d’un accident de train, en 1895, qui fit 14 morts et mit énormément de pression sur l’Hôtel-Dieu de Lévis. Sœur Nativa Routhier raconte d’ailleurs comment cet événement majeur a été vécu :

Trente-quatre blessés furent transportés à l’Hôtel-Dieu de Lévis. […] Il fallait loger tous ces blessés. Toute la place disponible dans les salles fut employée, mais cela ne suffisait pas. […] Le noviciat fut transformé en salle des malades pour recevoir les femmes. Les religieuses donnèrent même leurs lits et leurs matelas pour accommoder les pauvres malades. […] Les journaux donnèrent une grande publicité aux détails de l’accident du 9 juillet et l’Hôtel-Dieu de Lévis fut longtemps à l’affiche. Jusque-là, le petit hôpital n’était guère connu en dehors du voisinage immédiat de Lévis. Il acquit tout à coup une notoriété considérable, et dans de nombreux foyers sur les deux rives du Saint-Laurent, on connut l’existence à Lévis d’une maison destinée au soulagement des malades et des blessés[6].

L’accident du Chemin de Craig, en 1895. Auteur inconnu.
© Collection Archives nationales du Québec

Agrandissements successifs

Avec l’afflux de nouveaux malades, on commence rapidement à penser que la maison offerte par Caroline Lagueux était déjà bien petite pour un hôpital aux besoins toujours croissants. C’est ainsi qu’on construit une première annexe, dont la construction s’est amorcée en 1898[7]. Cet hôpital agrandi devient à son tour désuet plus tard au 20e siècle, en raison de ces besoins qui grandissaient davantage. L’hôpital est alors vendu à l’École apostolique Notre-Dame de Québec, vouée à l’enseignement des futurs prêtres[8]. En 1929, les médecins et les Augustines ont maintenant droit à un tout nouvel hôpital, qui pouvait désormais accueillir 234 malades (un nombre plus élevé que la vingtaine pouvant être préalablement accueillie en 1892). Le monastère pouvait quant à lui abriter plus de 125 religieuses[9]. C’est en 1965 qu’aura lieu un autre réaménagement de l’hôpital, dans un grand contexte de modernisation qui touchait alors le milieu hospitalier québécois[10]. Les Augustines ont, comme partout ailleurs au Québec, fait face à un déficit démographique important dans leur communauté, ce qui a mené au départ de leur monastère en 1997.

***

Les besoins croissants en matière de santé de la population de la Rive-Sud ont conduit à une croissance extrêmement rapide de l’Hôtel-Dieu de Lévis. S’il était encore bien modeste à l’arrivée des Augustines en 1892, elles ont su s’impliquer de près dans le développement de ce qui s’avère aujourd’hui, avec ses 349 lits, un centre hospitalier d’importance sur la Rive-Sud de Québec[11].


[1] Michel Lessard, Une belle histoire… Hôtel-Dieu de Lévis. 1892-1992, Hôtel-Dieu de Lévis, 1992, p. 10.

[2] Ibid., p. 10-11.

[3] GAGNÉ, David et Alain FRANCK, « Québec-Lévis : Dialogue interrives », Continuité, no 116, printemps 2018, p. 51-53.

[4] LESSARD, Michel, op. cit., p. 14-15.

[5] Cité par Michel Lessard, Ibid., p. 10.

[6] ROUTHIER, Soeur Nativa, De la sève à la floraison. L’histoire de l’Hôtel-Dieu de Lévis. 1892-1972, Les Éditions Le Renouveau Inc., Charlesbourg-Est, 1976, p. 60-62.

[7] LESSARD, Michel, op. cit., p. 17.

[8] Ibid., p. 18-19.

[9] Ibid., p. 20.

[10] Ibid., p. 22.

[11] Centre intégré de santé et de services sociaux de Chaudière-Appalaches, « Hôtel-Dieu de Lévis », [en ligne : https://www.cisss-ca.gouv.qc.ca/services-offerts/services-hospitaliers/hotel-dieu-de-levis/] (consulté le 1er juin 2018).