Un Pellan au Monastère des Augustines
Petite histoire d’un grand tableau
Le Monastère des Augustines possède des œuvres d’art inestimables : peintures, sculptures, orfèvreries, etc. L’une d’entre elles est particulièrement fascinante : un tableau représentant Catherine de Saint-Augustin peint en 1943 par Alfred Pellan, une figure emblématique de l’art moderne au Québec. Complètement atypique dans la production de ce peintre, ce tableau répond à une commande rémunérée des Augustines. Le choix de Pellan comme artiste n’est certes pas étranger au fait que sa sœur, Diane Pelland, est religieuse-infirmière à l’Hôtel-Dieu de Québec. Voici la petite histoire d’un grand tableau.
Le sujet du tableau : Pellan illustrant la mission des Augustines
À travers Catherine de Saint-Augustin, c’est une représentation de la double mission des Augustines qui s’illustre : la contemplation et l’action. À l’avant-plan du tableau, Catherine de Saint-Augustin est agenouillée, les mains jointes en prière. Son regard est tourné vers le rayon de lumière traversant la grille du cloître. La religieuse porte l’habit de professe. À l’arrière-plan, une religieuse hospitalière offre des soins à un malade alité; celle-ci l’aide à se nourrir en lui faisant boire un bouillon. Voici donc l’essence du sujet du tableau : l’unité entre la prière et l’action de soigner.
Les symboles dans l’œuvre de Pellan[1]
Une observation plus approfondie de l’œuvre nous conduit à l’étude des symboles présents dans le tableau : l’ange, la nuée, la croix et le rayon de lumière.
L’ange : Symbole du messager divin, l’ange est situé au second plan du tableau, au-dessus de Catherine de Saint-Augustin. Il pose un regard bienveillant sur la religieuse et lui pointe du doigt le rayon de lumière qui traverse la grille du cloître. Les ailes de l’ange se déploient de part et d’autre de la religieuse en prière et de l’hospitalière qui soigne, créant une unité visuelle entre la contemplation et l’action.
La nuée : Le second symbole présent dans le tableau est la « nuée », une sorte de nuage qui, dans la Bible, signifie une manifestation de la présence de Dieu, de sa venue prochaine.
La croix : Dans le prolongement de la colonne de nuée se trouve une croix dont l’emplacement dans la composition du tableau se confond avec la grille du cloître. Si on se réfère au récit de la Passion du Christ, la croix représente la Sainte-Croix, soit celle où Jésus a été crucifié. Dans le tableau, la croix rejoint le ciel d’un bleu cobalt, constituant ainsi un axe vertical cosmique.
La lumière : Symbole fort de ce tableau, la lumière illuminant le visage de Catherine de Saint-Augustin est une manifestation du Divin. Dans l’Ancien Testament, la lumière symbolise une intervention concrète du Très-Haut pour assurer le salut terrestre. Dans la tradition des Augustines, Dieu a choisi Catherine de Saint-Augustin comme « victime pour la Nouvelle-France »; à ce titre, la lumière comme intervention du Très-Haut explique sa détermination à « servir et mourir en Canada ».
Le choix d’Alfred Pellan comme artiste
Alfred Pellan (né Alfred Pelland, en 1906) fait ses études à l’École des beaux-arts de Québec. En 1926, il part étudier à Paris comme boursier. À l’époque, Paris est la capitale de l’art moderne. Pellan y réside jusqu’en 1940. Durant ces années parisiennes, sa peinture évoluera vers une nouvelle esthétique sous l’influence des fauves (Matisse), des cubistes (Braque, Picasso) et des surréalistes (Miro, Klee). Pellan confie : « J’ai été obligé de recommencer à zéro tout ce j’avais eu d’éducation académique. »
De retour au Québec en 1940 à cause de la guerre, Pellan s’installe à Montréal. Il rapporte avec lui des œuvres inspirées du cubisme et du surréalisme. À son arrivée, le Musée du Québec expose 161 de ses œuvres. L’exposition est reprise au Musée des beaux-arts de Montréal. De 1943 à 1952, Pellan enseigne à l’École des beaux-arts de Montréal. En 1948, il est cosignataire du manifeste Prisme d’yeux prônant la liberté d’expression dans l’art. Ce manifeste précède de quelques mois la publication du manifeste Refus global.
En 1943, lorsque Pellan reçoit la commande du tableau par les Augustines (payé 500 $ selon le livre de compte), la réputation du peintre est établie. Son langage artistique est pourtant très éloigné de la peinture religieuse et figurative. Le choix d’un peintre d’avant-garde comme Pellan est donc certainement relié à son lien de parenté avec Sœur Raymond-Marie (Diane Pelland), sa soeur.
L’œuvre de Pellan est inspirée d’un dessin à la plume réalisé par Sœur Sainte-Marie (Corinne Lemieux) qui a un véritable talent artistique et qui a réalisé plusieurs œuvres pour la communauté, notamment le tableau de l’arrivée des Augustines en Nouvelle-France. Malgré les contraintes du sujet et la composition du tableau, on peut observer l’influence de l’art moderne par certains aplats de couleur, une simplification des formes et la quasi-absence de perspective. Ce tableau reste malgré tout une œuvre unique dans le parcours artistique d’Alfred Pellan.
Diane Pelland : sœur d’Alfred Pellan
Sans la présence de Diane Pelland (Sœur Raymond-Marie) au sein de la communauté, il est peu probable que les Augustines aient commandé cette œuvre à son frère Alfred Pellan. Née en 1908, Diane Pelland est admise au Noviciat de l’Hôtel-Dieu du Précieux Sang de Québec en 1927, à l’âge de 19 ans. Elle devient professe temporaire le 6 avril 1930 et professe perpétuelle le 6 avril 1933. En 1943, elle fait une demande de sécularisation et quitte la communauté.
Les visiteurs en hébergement au Monastère des Augustines peuvent admirer le tableau de Catherine de Saint-Augustin, œuvre d’Alfred Pellan, à l’étage des chambres authentiques.
Qui était Catherine de Saint-Augustin ? Cet article saura vous en dire davantage.
Un article rédigé par Jocelyne Lavoie, guide-animatrice au Musée du Monastère des Augustines.
[1] La majeure partie des informations sur les symboles religieux provient de l’ouvrage de Marc Girard, Les symboles dans la Bible, 1991, Éditions Bellarmin, Montréal, 1023 p.