L’hôpital, lieu de rémission
Lorsqu’on s’imagine les soins de santé en Nouvelle-France aux 17e et 18e siècles, on pense souvent à une misère incroyable où la mort est forcément assurée pour les patients hospitalisés. Évidemment, les hôpitaux de l’époque – tout comme ceux de France – étaient d’abord des lieux où l’on mourrait. Cependant, en fouillant un peu notre histoire médicale, on réalise que les malades admis chez les Augustines en sortaient souvent vivants. L’hôpital était aussi un lieu de rémission.
Dans le livre Au temps de la petite vérole, Rénald Lessard souligne que la mort n’est pas aussi présente qu’on peut le supposer à l’Hôtel-Dieu de Québec :
Entre 1689 et 1698, 93 % des hommes et 96 % des femmes soignés par les religieuses survivent. Pour l’année 1744, pour 657 admissions, on compte 604 patients qui sortent vivants de l’institution, soit 92 % des patients. Entre 1800 et 1823, le pourcentage des malades qui quittent les hôtels-Dieu de Québec et de Montréal atteint respectivement 90,5 % et 96,2 %[1].
Avec de telles données, on réalise que la « Grande Faucheuse » ne passait pas tout son temps à l’hôpital! On se demande alors : de quoi pouvaient donc souffrir ces pauvres âmes? Qu’est-ce qui leur permettait de retourner dans leur demeure?
Infections au gré des saisons
Tout d’abord, mentionnons que les admissions à l’hôpital variaient selon les saisons. D’après l’historien François Rousseau, les Augustines pouvaient reprendre leur souffle en saison froide, grâce à un ralentissement du nombre de gens à soigner[2]. Le rythme du travail agricole et des transports (voies maritimes et terrestres) était bien différent l’hiver, ce qui influait sur les possibles blessures et autres maladies à traiter normalement durant l’été.
Par exemple, à la fin du printemps et au début de l’été, l’arrivée en Nouvelle-France des navires de la marine royale et de la marine marchande signifiait aussi l’arrivée de maladies. Les conditions exécrables et la mauvaise alimentation lors des longues traversées de l’océan Atlantique représentaient un terrain fertile pour les maladies infectieuses comme le typhus. C’est notamment le cas le 16 août 1734, alors que le navire le Ruby accoste à Québec avec ses 150 malades. L’Hôtel-Dieu n’avait pas de place pour tout le monde! C’est d’ailleurs à cette occasion que le célèbre médecin de l’Hôtel-Dieu Michel Sarrazin contracte la maladie au chevet de ces malades et en meurt.
Épidémies sporadiques et autres pathologies banales
Les navires n’avaient pas l’exclusivité des maladies infectieuses. Entre la fin de l’époque missionnaire et le début de la guerre de la Conquête, on compte dans la colonie des cas sporadiques de pleurésie, de rougeole, de fièvre maligne et de grippe. La petite vérole (la variole) aura frappé plus souvent que d’autres troubles et aurait, malheureusement, fait beaucoup de victimes. Lors de l’épidémie de 1702-1703, par exemple, 350 personnes en décèdent dans la colonie[3].
Excluant les navires contaminés et les maladies infectieuses, un bon nombre de cas d’hospitalisations devaient être dus à des problèmes banals de la vie courante. Selon François Rousseau, les cas qui ne mettent pas en danger la vie des individus ont moins fait l’objet de recensions que les maladies mortelles touchant un groupe d’individus[4]. Du moins, les sources accessibles ne permettent pas d’établir facilement un portrait de cas que l’on peut qualifier d’ordinaires. En matière de pathologies externes nécessitant une chirurgie, il devait surtout être question de « blessures d’armes blanches et d’armes à feu, [de] blessures reliées à l’utilisation des instruments de travail, coupures, contusions, écrasements, engelures nécessitant l’amputation… ». Il s’agit là de possibilités d’accidents impliquant principalement des hommes[5].
Alimentation et repos… du corps et de l’âme
Le soin ainsi que la survie des malades hospitalisés dépendaient énormément de l’attention que donnaient les religieuses aux malades. Cette attention s’exprimait notamment par une alimentation de qualité et un bon repos. Sous le Régime français, l’alimentation de base au pays était le pain. En contexte hospitalier, l’alimentation semblait être meilleure qu’en contexte populaire. Elle y était plus diversifiée en matière de produits en plus d’être indépendante de la conjoncture économique[6], principalement parce que les religieuses possédaient leurs propres terres agricoles et leurs propres jardins sur les lieux. Les malades consommaient environ une livre et demie de pain par jour, seul ou dans la soupe. Mais on ne se limitait pas qu’à ces deux aliments :
En plus de la livre et demie de pain, le régime quotidien comporte 10onces de viande ou de poisson, des légumes, des fruits… Comme boisson, les malades boivent du vin – peut-être coupé d’eau comme on avait l’habitude de le faire à l’époque –, de l’eau ou de la tisane. Véritable régime de reconstitution, la ration fournit au malade de 3 000 à 3 500 calories quotidiennement.[7]
En plus de cette nourriture, les malades admis avaient droit à une bonne hygiène (selon les pratiques et les croyances de l’époque), mais aussi à un excellent temps de repos. La spiritualité avait aussi une énorme place dans le soin dispensé par les Augustines. Prières, confessions, communions… des pratiques centrales, notamment pour soigner l’âme. Dans un précédent texte, il a été expliqué que les Augustines servaient (et servent toujours) le Christ en la personne des malades (voir : « Le charisme hospitalier et la charité chez les Augustines »). Cette façon de concevoir chaque individu comme détenteur d’une part du divin oriente positivement le soin. Malgré tout, l’attention était d’abord portée sur le corps, tout en baignant dans cet esprit de foi.
Prendre du temps pour soi au XXIe siècle
Apprendre que les malades guérissaient à l’hôpital aux 17e et 18e siècles permet de questionner nos pratiques de vie actuelles. Si une bonne alimentation, un repos régénérateur et des remèdes naturels pouvaient nous sauver la vie autrefois, il y a sûrement là matière à inspiration pour prévenir les maux qui frappent notre société contemporaine. Ces maux sont parfois simplement dus au stress et à la surcharge de travail. Bien s’alimenter et savoir prendre du temps pour soi, pour se reposer, hors du rythme effréné de la quête de performances et de la compétition du meilleur égo, ne peuvent qu’aider à nous maintenir en santé. Le Monastère des Augustines est, depuis son ouverture en 2015, une destination de choix pour apprendre à décrocher, mais aussi pour apprendre à s’apprivoiser.
Hugues St-Pierre
[1] Rénald Lessard, Au temps de la petite vérole. La médecine au Canada aux XVIIe et XVIIIe siècles, Québec, Les éditions du Septentrion, p. 218-219.
[2] François Rousseau, La croix et le scalpel. Histoire des Augustines et de l’Hôtel-Dieu de Québec I : 1639-1892, Québec, Les éditions du Septentrion, p. 71.
[3] Ibid., p. 76.
[4] Ibid., p. 78.
[5] Ibid., p. 80.
[6] R. Lessard, 2012 : 219)
[7] F. Rousseau, La croix et le scalpel… p. 105.