Le sens du travail chez les Augustines
Le travail est une notion qui se comprend et qui se vit de plusieurs façons. Le lieu et l’époque où on se situe y jouent d’ailleurs un rôle important. En communauté religieuse, le travail fait partie intégrante des activités quotidiennes. Il permet d’assurer une survie financière ou encore d’éviter l’oisiveté. Pour les Augustines, le travail est au cœur même de leur mission. C’est leur raison d’être. Que l’on soit du côté du monastère ou de l’hôpital, la cohésion organisationnelle des Augustines est possible grâce à un ensemble de règles. Celles-ci encadrent la réalisation de chaque fonction, quelle soit temporelle ou spirituelle. Découvrez quel est le sens du travail chez les Augustines.
Page couverture des Constitutions de la Congrégation des Religieuses Hospitalières de la Miséricorde de Jésus de l’Ordre de Saint Augustin,1666.
© Archives du Monastère des Augustines
Une organisation encadrée par des règles
La vie communautaire des Augustines de la Miséricorde de Jésus a toujours été encadrée et régie par différents textes. Ces derniers visent encore aujourd’hui autant les activités ordinaires que les activités religieuses quotidiennes. Ils concernent aussi chaque étape du processus qui mène à l’entrée officielle en communauté: du postulat jusqu’à la profession perpétuelle, voire jusqu’au décès même des religieuses. On compte parmi ces textes la règle de saint Augustin, les Constitutions, les règlements, le directoire et le cérémonial.
La règle de saint Augustin et la recherche d’une vie heureuse
La règle de saint Augustin tient une place importante chez les Augustines; elles y tirent non seulement leur nom, mais aussi l’inspiration d’un idéal de vie communautaire et fraternelle. La règle situe d’ailleurs leur spiritualité dans une visée apostolique catholique. Cette courte œuvre[1] n’est donc pas une règle au sens législatif du terme (Rousseau, 1989 : 314-315). Toutefois, on y trouve les principes fondamentaux de l’œuvre des Augustines, à savoir l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Pour mieux comprendre le paradigme philosophique et théologique dans lequel œuvrent les Augustines, il est nécessaire de comprendre l’idéal de vie à atteindre proposé par l’évêque de Nippone.
Chez saint Augustin, la vie bonne est possible lorsque toute chose est utilisée comme moyen et non comme une fin dernière, pour elle-même, comme serait le cas de manger par pure gourmandise et non par besoin biologique – dans ses Confessions, Augustin parlera du besoin de se nourrir en termes de « médicaments », indispensables pour notre corps[2].
Pour une vie heureuse, l’objectif est d’utiliser les créatures, les objets et les activités terrestres comme des moyens de se rapprocher de Dieu (Koch, 2010 : 27-28). Augustin distinguera d’ailleurs deux classes d’objets, l’un permet la jouissance et l’autre l’utilité (frui et uti en latin). La jouissance est possible lorsqu’on aime une chose pour elle-même (ce qui est négatif dans le présent contexte), et on parlera d’utilité lorsqu’une chose « […] est la jonction nécessaire pour la compréhension d’objets immatériels, éternels et spirituels » (Nadeau, 2009 : 50). Cette compréhension du divin est une finalité en soi qui se doit d’être recherchée. Le travail des Augustines s’inscrit d’ailleurs dans cette compréhension.
Dans la règle de saint Augustin, suivie par les Augustines, le bonheur n’est possible que par la connaissance de Dieu et par la foi en ce dernier. Dès lors, la charité représente le moyen privilégié pour accéder à cette connaissance et à cet amour de Dieu. La vie et le travail des religieuses s’inscrivent donc dans ce paradigme philosophique et théologique. Quant aux Constitutions, elles offrent un cadre concret et pratique à la juste réalisation du quotidien de la communauté, ainsi qu’à la possibilité de la vie heureuse réalisable par l’union à Dieu.
Auteur inconnu, La vision de saint Augustin
18e siècle, huile sur toile
© Collections du Monastère des Augustines, Hôtel-Dieu de Québec
Les Constitutions, moyens pour atteindre le salut
Les enseignements de saint Augustin proposent un idéal de vie à atteindre, où la vie fraternelle et ses finalités permettent de tendre vers l’union à Dieu. Les Constitutions, quant à elles, représentent les moyens pratiques et utiles à mettre en place pour y accéder. Elles les circonscrivent sous forme de règles afin de parvenir aux buts de l’Institut, soit un « pur Amour de Dieu » et un « parfait Amour du Prochain » (Rousseau, 1989 : 315-318).
L’édition des années 1920 des Constitutions se décline en plusieurs parties. Elle offre notamment les principes qui permettent de s’éloigner de la simple jouissance pour se consacrer à l’œuvre de miséricorde. Les vertus de pauvreté, de chasteté et d’obéissance introduisent et orientent l’ensemble des devoirs et des obligations communautaires. Résumons brièvement ces vertus, qui sont aussi les vœux que les religieuses signent lors de la profession temporaire et perpétuelle.
L’exercice de trois vertus
La pauvreté, nous dit François Rousseau, repose sur l’idéal de la pauvreté du Christ selon lequel la possession et le désir des choses sont à proscrire. Il ne faut ni aimer, ni s’attacher à rien. De là découle l’usage commun des choses. Ces dernières sont considérées comme des emprunts au Christ. La communauté possède tout et distribue selon les besoins. Autrefois, on retirait et redistribuait les possessions, comme les vêtements, les croix, les chapelets, une fois par année. Les chambres étaient aussi très sobres et si la Mère supérieure le décidait, une rotation pouvait avoir lieu. Les religieuses changeaient alors de chambre et la seule chose qu’elles gardaient était la literie. Cette vertu de pauvreté, compris selon la distinction augustinienne frui et uti, fait en sorte que tout objet n’est qu’utilité pour en arriver à la connaissance du divin.
La vertu de la chasteté est en continuité avec celle de la pauvreté. S’il ne faut s’attacher à aucun bien, il faut aussi garder les sens avec diligence. Il faut s’assurer de la pureté du corps et de l’âme. Il est nécessaire de rebuter tout ce qui se présente aux sens et qui va à l’encontre de cette idée de pureté. De là, entre autres, l’importance accordée à la continence. En restant chaste, la religieuse s’engage envers Dieu, que pour lui, et ce, dans une communauté religieuse fraternelle.
La vertu de l’obéissance se décline en deux éléments. Premièrement, la religieuse s’engage à exécuter ce qui est commandé. Deuxièmement, elle soumet son jugement et sa volonté à ceux de la Mère supérieure, « se persuadant que ce qu’elle commande, ou autre par son autorité, est comme une Ordonnance divine » (Constitutions citées par Rousseau, 1989 : 317). Par cette notion d’obéissance, on perçoit encore une fois cet abandon ou cette distanciation idéale de toute chose. Rien ne nous appartient. De plus, il est nécessaire de suivre les décisions de la Mère supérieure. Celle-ci aussi est soumise aux buts finaux de la communauté que sont l’amour de Dieu et l’amour du prochain.
Dans l’ensemble, ces vertus de pauvreté, de chasteté et d’obéissance représentent les fondements sur lesquels les Constitutions reposent; ils indiquent à la communauté comment vivre et se comporter. Autrefois, la règle de la clôture offrait le cadre propice à cette quête de l’amour de Dieu, qui n’est possible qu’en s’éloignant de soi-même et des choses n’offrant pas la vie heureuse au sens augustinien du terme.
Vœux de profession de sœur Sainte-Cécile, 16 juillet 1711
© Archives du Monastère des Augustines
Fonds Monastère des Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec
Un travail régit au son de la cloche
Les règles suivies par les Augustines offrent un cadre organisateur du quotidien, et ce, autant pour la vie communautaire que pour le travail hospitalier[3]. Par exemple, en 1850, la journée normale débute par le lever à 4 h du matin et se termine à 20 h 45. Le tout au son des cloches. Le quotidien est entrecoupé de plusieurs activités religieuses (oraisons, méditations, prières, messe, angélus, récitations du chapelet, etc.) et de travail à l’hôpital, dépendamment des fonctions respectives à chacune.
Dans les Constitutions de 1923, on peut lire différentes choses sur le bon déroulement au sein de l’Institut; il y est question, par exemple, de l’attitude à avoir auprès des malades, des devoirs envers les sœurs décédées et même des procédures pour la prise de décisions importantes et pour des élections. D’ailleurs, les postes importants sont élus, comme celui de la Mère supérieure, en suivant des principes de démocratie limitée. Seul un certain nombre de religieuses avait autrefois le droit de vote; cela est bien différent aujourd’hui. Les instances supérieures nomment les autres postes.
Jadis, chacune des fonctions au monastère possédait ses propres règles qui dictaient les normes à respecter. Nous pensons notamment à la règle de l’apothicairesse ou à celle de la boulangère.
Rappelons que l’existence de ces règles permettait et permet toujours de régir la vie religieuse dans le paradigme de la recherche de l’union à Dieu. Ainsi, les normes du travail des Augustines s’inscrivent dans une philosophie de vie précise. Il ne s’agit pas de régir que dans l’optique de contrôler les individus. Au contraire, l’encadrement de la communauté se fait dans l’esprit d’une quête d’un certain idéal de vie évidemment religieux.
Travailler pour le bonheur
Le travail des Augustines n’a jamais été qu’un simple boulot; il s’agit plutôt d’un sacrifice de soi inscrit dans une certaine vision du monde. Cette vision donne sens à la raison d’être des religieuses. Une augustine travaille pour sa communauté, pour les malades, pour Dieu, mais aussi pour elle-même; elle œuvre pour son propre salut qui aide aussi pour celui des autres. Il s’agit d’une adhérence à un sens de la vie dont le bonheur est la finalité ultime; un bonheur, nous le rappelons, qui ne vise pas la jouissance des choses pour ce qu’elles sont, mais qui vise la connaissance et l’amour de Dieu.
On réalise ainsi que le sens que l’on donne soi-même au travail peut dépendre de celui donné à la vie. Il est toujours bon de se questionner sur ses propres motivations. Que l’on soit croyant ou non, la façon des Augustines d’être dans le monde a le mérite d’inspirer une certaine réflexion quant aux raisons qui nous poussent à faire nous-même ce sacrifice. Quitte à revoir notre rapport au travail ainsi qu’à modifier notre mode de vie et notre vision qu’on se fait de cette dernière.
Hugues St-Pierre
Références
- François Rousseau, L’œuvre de chère en Nouvelle-France. Le régime des malades à l’Hôtel-Dieu de Québec, Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1984, p. 313-326.
- Isabelle Koch, « Augustin et l’usage du monde », Cahiers philosophiques 2010/2 (no 122), p. 21-42.
- Christian Nadeau, Le vocabulaire de saint Augustin, Paris, Éditions Ellipses,
[1] On parle d’un texte d’une longueur de moins de 30 pages dans un petit format de livre de poche.
[2] Voir Confessions, livre X, 44.
[3] Les Augustines suivent encore aujourd’hui la même série de règles que par le passé. Toutefois, leur contenu (et leur rigidité) s’est transformé principalement au XXe siècle. Par exemple, les Constitutions n’ont pratiquement pas changé depuis 1666, mais quelques modifications mineures ont eu lieu dans les années 1920. Le tournant majeur en matière de changements suit le concile Vatican II, en 1965, ce qui a notamment permis aux sœurs de retirer la règle du cloître. La dernière édition des Constitutions date de 2008.
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