La culture du don: financer l’œuvre hospitalière

7 décembre 2017

Le fait de devenir augustine demande un énorme sacrifice. Ce don de soi au profit de l’œuvre hospitalière a permis à la communauté d’agir auprès des nécessiteux pendant près de 400 ans. Toutefois, leur œuvre a longtemps reposé sur l’apport de particuliers. Voyons quelques exemples de contributions philanthropiques, notamment financières, permettant une continuité de l’œuvre des Augustines dans la ville de Québec.

L’apport de bienfaiteurs

Le charisme hospitalier des Augustines de la Miséricorde de Jésus n’aurait peut-être jamais foulé le sol canadien sans l’apport de la première bienfaitrice laïque de la communauté, la duchesse d’Aiguillon. La duchesse, dont le nom de naissance est Marie-Madeleine de Vignerot, a participé et financé la fondation de l’Hôtel-Dieu de Québec. C’est d’ailleurs elle qui a envoyé, en 1637, les ouvriers pour commencer le défrichement de la terre et la construction du bâtiment que devaient occuper les religieuses. Il est intéressant de noter que la duchesse, vivant en France, n’est jamais venue en Nouvelle-France.

Des membres de l’Église catholique ont aussi contribué au déploiement de l’œuvre des Augustines au Québec. Par exemple, Mgr de Saint-Vallier, archevêque de Québec, est le fondateur et bienfaiteur de l’Hôpital général, créé en 1692. Saint-Vallier a acheté le terrain, alors occupé par les Récollets et désigné comme la seigneurie de Notre-Dame-des-Anges. Depuis 1693, les Augustines occupent les lieux. En 1696, elles reçoivent la seigneurie des Islets, achetée et ensuite donnée par Mgr de Saint-Vallier. On peut comprendre pourquoi les Augustines accordent encore aujourd’hui une grande importance à l’évêque; sans son apport, elles n’auraient sans doute pu s’occuper des personnes âgées, des mendiants, etc., pendant plus de 300 ans.

Tableau de Mgr de Saint-Vallier, archevêque de Québec
© Collection du Monastère des Augustines

Un autre exemple philanthropique, de la part d’un laïc un peu moins connu que les deux précédents bienfaiteurs, a permis la fondation de l’Hôtel-Dieu du Sacré-Cœur[1] de Québec, en 1872. Il s’agit du notaire Louis Falardeau. Ce dernier achète, en 1865, un terrain de 43 arpents longeant la rivière Saint-Charles. Son objectif est d’y bâtir un hôpital. Un montant de 5 000 $ est joint au don foncier. Ce sont des augustines de l’Hôpital général de Québec qui agissent à titre de mères fondatrices. Grâce au don du notaire, plus de 9 600 enfants ont pu être accueillis par les Augustines entre 1872 et 1929. Cet hôpital a aussi pris soin, entre autres, des épileptiques. Les religieuses sont d’ailleurs très fières de leur mission auprès de ces derniers.

Contribuer pour son soin

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les soins sont dispensés gratuitement aux malades de l’Hôtel-Dieu de Québec. Toutefois, les religieuses invitent les gens à contribuer financièrement s’ils ont les moyens de le faire. L’idée est qu’il ne faut pas détourner les biens servant à soulager la pauvreté. D’après l’historien François Rousseau, « des bourgeois vont payer pour eux-mêmes, pour leurs domestiques ou leurs esclaves; les prêtres hospitalisés dans leur bâtiment particulier vont faire de même. Ils donnent ce qu’ils peuvent ou ce que qu’ils considèrent juste selon leurs moyens » (1989 : 113). De plus, ajoute Rousseau, les capitaines de navires marchands paient le séjour de leurs matelots, et le roi rembourse les frais pour les soldats, les matelots de la Marine royale, etc. Contribuer aux soins concorde avec l’idée selon laquelle il ne faut pas profiter de ce qui doit servir à la charité, aux pauvres.

En 1892, l’Hôtel-Dieu de Québec inaugure le pavillon d’Aiguillon, dont le nom rend hommage à la bienfaitrice mentionnée plus haut[2]. Cette construction s’inscrit historiquement à même l’avènement de la modernité. Ce pavillon permet, entre autres, l’augmentation d’une clientèle aisée, capable de payer pour les services reçus, incluant une chambre privée (et parfois même un salon). L’accès est possible pour ceux et celles ayant la capacité de payer pour ce luxe. Parfois, un proche de la personne hospitalisée peut aussi louer une chambre, ou encore des pensionnaires, principalement des femmes.

Chambre privée de l’ancien pavillon d’Aiguillon, circa 1926
Fonds Hôpital du Monastère des Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec
© Archives du Monastère des Augustines

L’existence d’un tel service peut paraître surprenante, mais l’argent récolté représente un revenu très intéressant pour l’hôpital; il permet la poursuite des soins dispensés gratuitement aux malades moins fortunés admis dans les salles communes. De plus, cela est aussi l’un des symptômes de changements dans l’univers hospitalier. Par exemple, l’ouverture des hôpitaux à une clientèle de plus en plus variée et moins restreinte à celle d’autrefois, c’est-à-dire les gens sans les moyens.

Contribuer pour son salut

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la contribution aux soins peut donc être financière, mais aussi salutaire; la charité chrétienne prend une place importante pour gagner des mérites pour le ciel. Pour les laïcs de confession catholique, l’aumône est bonne pour leur propre salut, pour leur âme, mais les gestes publics le sont encore plus. L’un de ces gestes est de payer des repas aux malades. Il est encore meilleur pour son âme si le repas est servi par la personne qui finance le repas. À ce sujet, Rousseau dit ceci : « Quand le donateur venait lui-même servir les malades, son geste charitable se doublait d’une intention d’humilité et d’anéantissement devant la majesté divine » (ibid., 128). Dès lors, il semble que le bénévolat en milieu hospitalier existe depuis longtemps. Cette façon de faire permet la charité autrement que le financement par des gens très fortunés, comme la duchesse d’Aiguillon ou monseigneur Saint-Vallier.

L’infâme incendie de 1755 de l’Hôtel-Dieu de Québec

La générosité de la population ne se limite pas qu’à l’aumône régulière, le remboursement des soins ou le bénévolat. Parfois, les contributions suivent un événement précis, comme un drame. Un bon exemple est sans conteste l’incendie du 17 juin 1755, qui détruit l’Hôtel-Dieu de Québec. Dès le 23 novembre suivant, les sœurs décident de reconstruire le monastère, afin d’éviter que les bâtiments endommagés se détériorent davantage et fassent augmenter les coûts de reconstruction. « Mais, comme le dit bien F. Rousseau, il y a aussi la volonté de profiter de l’élan de générosité de la population à l’égard de la communauté » (ibid., 158). Le clergé organise donc des quêtes, et des habitants offrent des matériaux. Toutefois, les religieuses doivent quand même emprunter pour réaliser les travaux. Le zèle de généreux donateurs sert visiblement à moins s’endetter.

La loterie de l’Hôtel-Dieu du Sacré-Cœur

La fondation de 1872 de l’Hôtel-Dieu du Sacré-Cœur de Québec a été possible, nous l’avons vu, grâce au don foncier du notaire Louis Falardeau. Le montant de 5 000 $ qu’il a joint n’étant pas suffisant, il est nécessaire de trouver des fonds supplémentaires. En juillet 1871, une loterie est mise sur pied par l’Hôpital général et promu dans tout le diocèse de Québec. Les Sœurs de la Charité de Montréal (aussi appelées Sœurs grises) offrent 784 $ issus d’une quête à domicile que les Augustines utilisent parmi les mille lots à faire tirer. De plus, elles récoltent des aumônes auprès de la population. Elles ne reçoivent pas seulement de l’argent, mais aussi des créations artistiques qui font partie des lots à gagner. Les Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec ont d’ailleurs donné des chapelets. Les fonds amassés par la vente de billets pour gagner l’un ou l’autre des lots permettent d’aider à financer la construction de l’hôpital.

L’Hôtel-Dieu du Sacré-Cœur de Jésus, année inconnue
© Archives du Monastère des Augustines

Encourager l’interdépendance

Avec ces quelques exemples, on remarque que l’œuvre des Augustines de la ville de Québec s’inscrit dans un jeu d’interrelations entre les religieuses et la population. Les gens, qu’ils soient aisés ou pas, ont toujours su contribuer à l’œuvre qui, d’un certain point de vue, était aussi la leur.

Bien que toujours d’actualité, la philanthropie et l’acte du don ont évidemment évolué au fil du temps. Les besoins changent et les raisons qui motivent le mécénat aussi, mais le besoin d’être soutenu, qu’il s’agisse d’argent ou d’une présence humaine, reste et restera très certainement nécessaire à l’humain. Ce lien d’interdépendance entre les individus et les organisations mérite d’être reconnu et encouragé.

Le patrimoine social des Augustines ainsi que celui de la société d’autrefois ont beaucoup à nous apprendre sur les moyens de contribuer aux œuvres sociales et culturelles. Ce patrimoine peut encore aujourd’hui alimenter maintes réflexions sur les possibilités d’améliorer notre collectivité.

Hugues St-Pierre

Sources

Émilia B. Allaire, Quand les murs parlent…, Québec, Édition l’Action Sociale, 1973, p. 35-36; 232-233.

François Rousseau, La croix et le scalpel. Histoire des Augustines et de l’Hôtel-Dieu de Québec I : 1639-1892, Québec, Les éditions du Septentrion.

François Rousseau, La croix et le scalpel. Histoire des Augustines et de l’Hôtel-Dieu de Québec II : 1892-1989, Québec, Les éditions du Septentrion.

Micheline D’Allaire, L’Hôpital-Général de Québec : 1692-1764, Montréal, Éditions Fidès, 1971, p. 41-45.


[1] L’hôpital a porté le nom l’Hôtel-Dieu du Sacré-Cœur de Jésus de 1872 à 1892.

[2] Une tour de 14 étages occupe le même lieu depuis les années 1950.