Grippe espagnole: prendre soin en temps de pandémie
S’occuper du soin des pauvres à une époque où plusieurs maladies peuvent rapidement se répandre en épidémies comporte des risques élevés pour les religieuses. La tuberculose, par exemple, constitue une des infections les plus dévastatrices au tournant du 20e siècle. Le sacrifice de soi prend une tout autre signification pour les religieuses qui, en tentant d’alléger les souffrances des malades, y laisseront parfois leur vie. À l’Hôtel-Dieu de Québec uniquement, elles sont trois en 1896, six en 1900 et deux en 1901 à succomber à la maladie. Toutefois, la grippe de 1918, dite « grippe espagnole », aura bouleversé les Augustines de la ville de Québec.
La grippe espagnole
C’est en 1918 que la dernière grande épidémie, soit la grippe espagnole, fait des ravages à travers le Québec et le Canada. On recense 50 000 décès liés à cette pandémie au pays, alors que ce nombre grimpe à environ 200 millions à travers le monde[1]. La 2e vague mondiale de la grippe espagnole frappe la ville de Québec au milieu du mois d’octobre 1918, emportant en moyenne 40 personnes par jour, lors de sa première semaine. Les théâtres, les écoles, les tavernes et même les églises sont fermés pour trois semaines. Les commerces opèrent selon des horaires restreints.
Les Augustines gèrent une bonne partie de la crise, malgré la méconnaissance des causes et des remèdes contre la maladie. La crise économique suivant la Première Guerre mondiale se fait aussi sentir : les moyens manquent au traitement optimal de tous. Les divers vaccins, remèdes et techniques d’isolement (mise en quarantaine) sont peu ou nullement efficaces. Les trois monastères-hôpitaux seront mobilisés pour combattre cette épidémie, mais bien vite, les locaux des hôpitaux ne suffisent plus.
Les religieuses ne sont pas épargnées
Au cours de cet épisode, 58 des 138 augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec seront atteintes de ce mal. Une seule sera atteinte mortellement, mais trois autres augustines décèderont des suites de cette infection; affaiblies par le virus, elles contracteront la tuberculose qui leur sera fatale.
Du côté de l’Hôpital général de Québec, 28 augustines « novices et jeunes professes » tomberont malades, sans toutefois faire de victime. Dans les annales, on fait état d’une « épidémie nommée grippe intestinale [qui] fait des ravages considérables parmi nos infirmes ».
Enfin, à l’Hôtel-Dieu du Sacré-Cœur, la maladie sera particulièrement agressive. Au plus fort de la crise, on fait état de « religieuses qui tombaient plusieurs à la fois; l’infirmerie ne suffisant pas, la salle capitulaire, puis la salle de communauté, y furent ajoutées ». Dans ce monastère comptant environ 80 religieuses, trois novices et jeunes professes rendirent l’âme dans les semaines suivantes.
Don de soi
Les religieuses mortellement atteintes par la maladie ne remettaient pas pour autant en doute l’utilité de leur rôle et de leur mission. C’est ainsi que sœur Saint-Anselme, à quelques jours de son décès imminent, est reconnaissante de mourir au service des pauvres. Elle s’exprimait ainsi : « je fais ce sacrifice et surtout je fais de tout mon cœur le sacrifice de ma vie afin que toutes les autres soient épargnées. »
De son coté, sœur Sainte-Monique, également condamnée par la maladie, a affiché, dit-on, une « attitude [qui] fut celle de toute sa vie religieuse. Quelle paix, quel doux sourire, quelle patience! » C’est peut-être dans cette acceptation finale que se manifeste le plus concrètement l’étendue du sacrifice de soi de la part des Augustines.
Des améliorations en vue
Ces périodes de grand stress ont ultimement contribué à une certaine amélioration des conditions de vie des hospitalières. Les veilleuses, responsables de vaquer au soin des malades durant la nuit, n’avaient qu’un mince répit au tout début de la Première Guerre mondiale (elles pouvaient se lever à 5 h 10 au lieu de 4 h du matin comme les autres); le conseil repousse en 1919 cette heure de lever vers 10 h 30-11 h. Le dimanche, on permet même un réveil à midi. Une dizaine d’années plus tard, on met en place des équipes permanentes de nuit pour éviter les désagréments du changement d’horaire. On semble mieux saisir l’importance d’un sommeil réparateur!
Références
Becker Annette. « L’histoire religieuse de la guerre 1914-1918 ». In : Revue d’histoire de l’Église de France, tome 86, n°217, 2000. Un siècle d’histoire du christianisme en France. p. 539-549.
Jean-Charles Fortin. Les soins de santé et l’assistance publique avant 1960, Chaire Fernand-Dumont sur la culture, 24 septembre 2003.
François Rousseau, La croix et le scalpel : Histoire des Augustines et de l’Hôtel-Dieu de Québec, tome II, : 1892-1989, Québec, Les Éditions du Septentrion, 1994, p.280-282.
Archives du Monastère des Augustines, Lettre annuelle de l’Hôtel-Dieu-du-Précieux-Sang, Sœur Marie du Calvaire, 23 décembre 1918
Archives du Monastère des Augustines, Lettre annuelle de l’Hôpital Général de Québec, Sœur Saint-François d’Assise, 16 décembre 1918
Archives du Monastère des Augustines, Lettre annuelle de l’Hôtel-Dieu-du-Sacré-Cœur-de-Jésus, Sœur Sainte-Gertrude, 26 décembre 1918
Archives du Monastère des Augustines, Annales de l’Hôpital Général de Québec 1915-1926, p. 182-183
[1] Les chiffres parlent parfois d’entre 5 et 100 millions de morts, mais de nouvelles données feraient augmenter à 200 millions. [N.D.L.R.]